Josette
Posté par hommedenonvie le 18 novembre 2008
Josette avait eu une bonne vie, selon elle. Née entre deux guerres, elle avait grandi dans l’ambiance des années folles. Puis, pendant la deuxième guerre mondiale, elle s’était faite résistante, en accueillant des hommes de son âge recherchés par la gestapo. C’est là, d’ailleurs, qu’elle avait connu son mari. Puis, ensemble, ils s’étaient entourés d’amis prévenants, avaient eu deux enfants, et tous deux travaillaient. C’était une belle époque, bien plus simple qu’à présent.
Puis, les enfants sont partis, laissant de nouveau le couple seul. Ils ont pu prendre le temps de faire ce qu’ils avaient délaissé, nourrissaient des projets. Et de projets en projets, ils se retrouvèrent à la retraite. Les voyages, les séjours chez les amis -toujours les mêmes-, le repos, le plaisir tant mérité après une vie saine et honnête de labeur. Mais jamais, à aucun moment, ils ne s’étaient ennuyés.
D’ailleurs, même à la mort de son mari, écrasé par un camion de la voirie, elle ne s’était ennuyée. La douleur et la solitude qui suivent de tels évènements ont été noyés par le combat juridique contre la mairie de sa ville, puis ses amies passaient leur temps chez elle. Elle n’a dû pleurer qu’une seule fois. Avec l’argent gagné au procès, elle partait en voyage, seule ou avec des amis, à qui elle payait le déplacement.
Mais avec le temps, ses amies mourraient de vieillesse, ses économies fondaient, sa retraite s’amenuisait, et le monde virait de plus en plus dingue. Et très vite, elle se retrouva seule, sous tutelle dans un établissement mouroir. Là, elle s’était faite de nouvelles amies, mais la promiscuité aidant ( le bâtiment en soi était divisé en petit appartements serrés les uns contre les autres, et une grande salle commune), cela tourna vite au vinaigre. Un jour, elle trouva une chatte qui semblait abandonnée, et l’emmena chez elle. Elle se sentit moins seule, et constata bien vite que ladite chatte attendait des petits.
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Et aujourd’hui, alors qu’elle est là, dans l’ambulance, entourés d’infirmiers pleins de pitié et malgré tout de fermeté, à cause de l’habitude, comment leur expliquer? Comment leur expliquer le plaisir que ça donne, la joie qu’elle avait eu quand elle a acheté puis essayé sa boîte « du petit chimiste », le contentement que lui donnait le rendement de ses chattes, de plus en plus nombreuses, le regard qu’ils avaient quand ça craquait – il fallait attendre qu’ils ouvrent les yeux-, le classement, la rédaction de ses notes comparatives sur la méthode à utiliser? Comment leur faire comprendre, à tous ces infirmiers, et aux psychiatres spécialisés, que tuer des chatons à peine nés, en faire un hobby, une étude des plus sérieuses, de toutes les manières et avec tous les instruments possibles, c’est une façon comme une autre de vivre sa retraite? Allez leur faire comprendre, vous, que c’est l’une des seules activités qu’elle puisse faire sans dépenser sa minuscule retraite, de manière un peu originale. Je vous souhaite bien du courage…
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